UE: une vision stratégique transformatrice

Brussels 29.03.2022 Intervention du président Charles Michel lors de la conférence sur les grands enjeux européens à Sciences Po, Paris:
« …Le projet européen se situe, c’est indiscutable, dans la courbe de progrès de l’humanité. Il vise à garantir les biens les plus précieux : la paix, la démocratie et la prospérité, ces biens dont on mesure la valeur lorsqu’ils sont mis en danger. Les débris et les cendres de deux guerres mondiales consécutives ont été, paradoxalement, le terreau fertile de l’édification européenne.

« Une Europe pacifique, une Europe unie, une Europe de plus en plus forte. Une Europe où la loi et les règles protègent les droits et les intérêts de chacun. Une Europe libre, une Europe solidaire. C’est un projet politique innovant, sans précédent dans l’Histoire, fondé sur le dialogue, fondé sur le respect, fondé sur la tolérance.

« Certes, soyons lucides, l’Union européenne n’a pas effacé les différences politiques, historiques, culturelles même, ni les intérêts différents entre nos États membres. Mais le projet politique de cette Union européenne a radicalement changé la façon dont nous abordons nos différences et nos différends: nous sommes passés d’un modèle qui était fondé sur la confrontation, y compris très souvent militaire, à un modèle de coopération et de négociation.

« Comment a-t-on pratiqué? En mettant en place progressivement des règles communes qui lient des pays aux institutions différentes. Mais des règles communes qui sont ancrées dans des valeurs et dans des principes communs.

« C’est ainsi, lorsque je suis assis à la table du Conseil européen, avec les 27 chefs d’État et de gouvernement, depuis maintenant sept ans, que je ressens chaque jour encore plus fort que la veille que nous formons, avec les 27, une famille.

« Une famille avec, c’est vrai, de fortes différences et, je le dis encore, parfois des différends. Nous passons des heures, des jours, parfois même, c’est arrivé, des jours et des nuits, à discuter, à palabrer, à argumenter pour rechercher un terrain d’entente. Mais toujours, ou à peu près toujours, nous y arrivons, parce qu’à la fin, c’est l’essentiel qui prime.

« Le succès de l’Union européenne tient, bien sûr, je le crois, à la force des mots. Ce sont ceux des traités européens, ce sont les mots du droit européen. Mais le succès, davantage, ce sont les faits, avec des réalisations qui sont inédites : d’abord, l’Union européenne, c’est le plus grand espace démocratique du monde. L’Union européenne, c’est la libre circulation des personnes et des biens, c’est une puissance économique et commerciale de 450 millions de consommateurs.

« Et l’Union européenne – trop peu de gens le savent –c’est le plus important promoteur et sponsor du développement et de la paix dans le monde.

Vision stratégique transformatrice

L’Union européenne est un projet constamment imparfait et en mouvement perpétuel. Parce que l’Union européenne est, avant tout, un projet de transformation.

Dans ce monde qui est un monde instable et en mutation, confronté à des défis globaux, au premier rang desquels le changement climatique, c’est l’Union européenne, en 2019, qui a décidé de faire de la double transition – écologique et numérique – notre stratégie de transformation pour bâtir un nouveau paradigme de prospérité. C’est l’Union européenne aussi qui a décidé d’agir pour tenter de renforcer notre capacité d’action et d’influence sur le plan mondial.

Ce dernier point – vous l’avez mentionné, nous sommes nés le même jour, mais pas la même année – c’est l’orientation que le président Macron avait proposée, à la Sorbonne, en 2017. Il s’agissait de construire une souveraineté européenne, pour assurer la capacité à défendre mieux nos valeurs, à défendre mieux nos intérêts, et à protéger nos citoyens, leur sécurité, leurs libertés et leur cadre de vie.

L’autonomie stratégique

Cette autonomie stratégique, la souveraineté de l’Europe, et je le dis avec un peu de solennité et peut-être même avec un peu d’émotion, je le crois, c’est le défi de notre génération et de votre génération.

Fin 2019, c’était il y a deux ans à peine, nous avons pris une première décision stratégique lorsque nous nous sommes engagés à atteindre la neutralité climat en 2050. En faisant cela, on avait fixé l’horizon pour créer l’espace politique afin de mettre en place ce que l’on a ensuite appelé le pacte vert européen. Décarboner nos sociétés, nos économies. Abandonner progressivement les énergies fossiles et les dépendances qui en découlent, au gaz et au pétrole russe, par exemple, je vais y revenir.

Aujourd’hui, à la lumière des événements, cela semble naturel, cela semble évident. Et pourtant, il y a deux ans à peine, en décembre 2019, il en a fallu de l’argumentation, des palabres, de la discussion, des heures, des jours et des nuits pour convaincre et pour prendre ensemble cette décision.

Mais l’Union européenne a montré la voie. D’autres pays dans le monde nous ont ensuite emboîté le pas avec le même objectif de neutralité climatique. Et un objectif, un impératif géostratégique est venu renforcer le motif climatique.

L’autonomie stratégique, l’agenda de souveraineté européenne repose à mes yeux sur trois piliers.

Tout d’abord, bien sûr, les valeurs européennes, les valeurs universelles : la dignité et la liberté humaines, l’État de droit, la solidarité.

Deuxième élément, la prospérité. Et cette prospérité est désormais liée à cette transformation urgente, impérieuse de notre modèle de développement, fondée sur cette double transition, numérique et verte.

Et enfin, le troisième point, on le voit beaucoup ces dernières semaines: l’importance de renforcer nos capacités d’action ensemble sur les sujets stratégiques.

L’objectif est à mes yeux d’exercer une plus grande influence, inspirée par nos valeurs, pour mieux anticiper et mieux protéger nos citoyens. Il s’agit – pour l’Union européenne – de cesser de n’être que le terrain de jeu pour les ambitions des autres et d’être un acteur qui respecte, mais qui est capable aussi de se faire respecter…
« On le voit, quand on est confrontés à l’adversité, l’Europe pose des actes. Des actes de souveraineté… »